Sauver le polar
John Rickards (en anglais) regrette que la littérature policière actuelle ne prenne pas davantage de risques, et se complaise dans la répétition et le conformisme, et je suis d'accord avec lui même si nous n'avons sans doute pas la même vision des "risques" à prendre. Je pense en effet que si le diagnostic de Rickards est bon, il n'en va pas de même pour sa prescription, ou tout du moins qu'il ne s'attaque pas aux causes profondes du mal. Si tant de romans policiers semblent être de la même main, raconter la même histoire avec les mêmes personnages, et défendre les mêmes valeurs, c'est peut-être aussi la conception dominante du genre qu'il faut remettre en cause.
Il fut un temps, pas si lointain, où le statut du "polar" était on ne peut plus simple: il s'agissait avant tout d'un divertissement, dont la valeur était fonction de sa capacité à remplir cet office. L'intrigue, le suspense étaient donc les critères principaux, même si l'on admettait à regret que certains auteurs adjoignaient à ces qualités une belle plume et une certaine pénétration psychologique. Ces auteurs étaient d'ailleurs promptement récupérés par l'élite comme "transcendant le genre". Si un roman policier était "littéraire", c'est qu'il ne s'agissait pas vraiment d'un roman policier. Lumineux, n'est-il pas?
Mais les temps changent et de nos jours le polar a pignon sur rue: il se vend bien, mieux en fait que les autres genres y compris "littéraire", et il est pris au sérieux. Un peu trop, même, au point que ses racines populaires, l'aspect de pur divertissement, sont passés aux oubliettes. Le polar, nous dit-on, a vocation à dépeindre le réel, à sonder les recoins les plus sombres de l'âme humaine. L'intrigue n'est plus qu'un élément secondaire - dans le meilleur des cas; il n'est pas rare en effet de lire des critiques où le mot brille par son absence, l'auteur préférant s'étendre sur la dimension sociale et psychologique du livre, sur l'écriture, comme il le ferait pour n'importe quel bouquin paru sous la couveture blanche. A tel point qu'on pourrait dire que le triomphe du roman policier n'est qu'un trompe-l-oeil: ce sont les snobs qui ont gagné, et imposé leurs critères. Il faut transcender le genre, ou alors ne pas être.
L'évolution du lectorat est intéressante elle aussi. De l'usager des transports en commun en quête d'une lecture rapide et sans conséquence, on est passé à une clientèle "sophistiquée" qui exige du littérairement correct et s'intéresse davantage à la personne du détective qu'aux affaires qu'il résoud. La prolifération des séries, et le flirt prononcé de nombres de celles-ci avec le soap opéra, n'a pas d'autre origine.
Et comme, dans le même temps, la littérature dite générale a plus ou moins abandonné le réalisme social et psychologique de même que la notion de "héros", le roman policier voit accourir vers lui quantité d'auteurs pas plus intéressés que cela par le genre lui-même, mais qui y voient un bon véhicule pour leurs préoccupations.
Résultat des courses? Un académisme étouffant. On ne compte plus les flics fatigués à la vie de famille cahotique, les tueurs en série, les terroristes, les multinationales sans scrupule, les politiciens corrompus, les pédophiles et autres pervers sexuels... Même le noir qui se veut transgressif tourne largement à vide. De temps à autre un gimmick nouveau apparait (dernier en date: l'Opus Déi) mais ce n'est qu'un faux-nez pour vendre la même vieille soupe. Mais qu'espérer d'autre quand on enferme un genre dans une fonction de "témoin" et que l'on piétine tout ce qui fait son originalité, son identité?
A l'époque où le roman policier relevait de la littérature de gare, on trouvait sur les présentoirs de merveilleux ovnis tels que La chambre ardente, Jeu de massacre ou La nuit du Jabberwock. Personne n'attendait des auteurs qu'ils fassent de la littérature, qu'ils transcendent le genre, qu'ils disent des choses importantes sur le monde où nous vivons ou sur notre psyché; ils étaient donc libres, pourvu qu'ils respectassent en surface les conventions basiques du genre, de faire tout ce qu'ils voulaient. Pour le simple plaisir. Sans alibis. Sans culpabilité.
Le genre, s'il veut survivre artistiquement - sa survie commerciale étant, elle, assurée, et pour longtemps - a besoin d'une plus grande liberté, et pas seulement de parole ou de ton. Liberté de se tamponner des "grands sujets", de tourner le dos au réalisme et à la sacro-sainte vraisemblance, de fixer et choisir soi-même ses propres règles, de faire du polar pour l'art (oui, je n'ai pas pu y résister, à celle-là...) Il faut, de nouveau, considérer l'assassinat comme l'un des beaux-arts.
Il fut un temps, pas si lointain, où le statut du "polar" était on ne peut plus simple: il s'agissait avant tout d'un divertissement, dont la valeur était fonction de sa capacité à remplir cet office. L'intrigue, le suspense étaient donc les critères principaux, même si l'on admettait à regret que certains auteurs adjoignaient à ces qualités une belle plume et une certaine pénétration psychologique. Ces auteurs étaient d'ailleurs promptement récupérés par l'élite comme "transcendant le genre". Si un roman policier était "littéraire", c'est qu'il ne s'agissait pas vraiment d'un roman policier. Lumineux, n'est-il pas?
Mais les temps changent et de nos jours le polar a pignon sur rue: il se vend bien, mieux en fait que les autres genres y compris "littéraire", et il est pris au sérieux. Un peu trop, même, au point que ses racines populaires, l'aspect de pur divertissement, sont passés aux oubliettes. Le polar, nous dit-on, a vocation à dépeindre le réel, à sonder les recoins les plus sombres de l'âme humaine. L'intrigue n'est plus qu'un élément secondaire - dans le meilleur des cas; il n'est pas rare en effet de lire des critiques où le mot brille par son absence, l'auteur préférant s'étendre sur la dimension sociale et psychologique du livre, sur l'écriture, comme il le ferait pour n'importe quel bouquin paru sous la couveture blanche. A tel point qu'on pourrait dire que le triomphe du roman policier n'est qu'un trompe-l-oeil: ce sont les snobs qui ont gagné, et imposé leurs critères. Il faut transcender le genre, ou alors ne pas être.
L'évolution du lectorat est intéressante elle aussi. De l'usager des transports en commun en quête d'une lecture rapide et sans conséquence, on est passé à une clientèle "sophistiquée" qui exige du littérairement correct et s'intéresse davantage à la personne du détective qu'aux affaires qu'il résoud. La prolifération des séries, et le flirt prononcé de nombres de celles-ci avec le soap opéra, n'a pas d'autre origine.
Et comme, dans le même temps, la littérature dite générale a plus ou moins abandonné le réalisme social et psychologique de même que la notion de "héros", le roman policier voit accourir vers lui quantité d'auteurs pas plus intéressés que cela par le genre lui-même, mais qui y voient un bon véhicule pour leurs préoccupations.
Résultat des courses? Un académisme étouffant. On ne compte plus les flics fatigués à la vie de famille cahotique, les tueurs en série, les terroristes, les multinationales sans scrupule, les politiciens corrompus, les pédophiles et autres pervers sexuels... Même le noir qui se veut transgressif tourne largement à vide. De temps à autre un gimmick nouveau apparait (dernier en date: l'Opus Déi) mais ce n'est qu'un faux-nez pour vendre la même vieille soupe. Mais qu'espérer d'autre quand on enferme un genre dans une fonction de "témoin" et que l'on piétine tout ce qui fait son originalité, son identité?
A l'époque où le roman policier relevait de la littérature de gare, on trouvait sur les présentoirs de merveilleux ovnis tels que La chambre ardente, Jeu de massacre ou La nuit du Jabberwock. Personne n'attendait des auteurs qu'ils fassent de la littérature, qu'ils transcendent le genre, qu'ils disent des choses importantes sur le monde où nous vivons ou sur notre psyché; ils étaient donc libres, pourvu qu'ils respectassent en surface les conventions basiques du genre, de faire tout ce qu'ils voulaient. Pour le simple plaisir. Sans alibis. Sans culpabilité.
Le genre, s'il veut survivre artistiquement - sa survie commerciale étant, elle, assurée, et pour longtemps - a besoin d'une plus grande liberté, et pas seulement de parole ou de ton. Liberté de se tamponner des "grands sujets", de tourner le dos au réalisme et à la sacro-sainte vraisemblance, de fixer et choisir soi-même ses propres règles, de faire du polar pour l'art (oui, je n'ai pas pu y résister, à celle-là...) Il faut, de nouveau, considérer l'assassinat comme l'un des beaux-arts.
0 Comments:
Post a Comment
<< Home