Monday, July 07, 2008

Quand "Je" n'est pas un autre

Beaucoup de romans policiers sont écrits à la première personne. Les avantages de cette approche dans le genre qui nous occupe sont multiples, ses inconvénients aussi.
 
Parmi les premiers, on peut compter une identification plus facile, plus immédiate du lecteur au protagoniste - il nous parle, nous sommes avec lui, nous suivons ses pensées, nous voyons ce qu'il voit, nous entendons ce qu'il entend. Rien d'étonnant à ce que cette forme de narration soit historiquement liée aux formes du genre qui requièrent un fort investissement émotionnel du lecteur: le suspense, bien sûr, mais aussi le hardboiled et le noir. Mais, parce que le narrateur n'est pas omniscient et ne nous raconte jamais finalement que ce qu'il a bien envie de nous dire, la première personne peut être aussi un formidable outil de mystification, comme tout lecteur du Mystère de Roger Ackroyd pourra vous le confirmer, et c'est pourquoi le roman à énigme ou les histoires à chute en ont également fait, et continuent d'en faire, grand usage.
 
Mais la méthode, je l'ai dit, a également ses travers. D'abord, elle restreint le champ de l'oeuvre. Les personnages, les lieux, ne nous sont connus que par l'expérience personnelle du narrateur qui, comme tout être humain, est incapable de lire les pensées, de se rendre invisible ou d'être en deux endroits à la fois. Qu'il quitte la pièce au milieu d'une conversation, nous n'en connaîtrons jamais la suite. Qu'il y reste, nous ne pouvons être sûrs que les autres pensent vraiment ce qu'ils disent. Ce ne serait pas forcément un problème si cette ambiguïté s'étendait au narrateur lui-même, mais ce n'est que rarement le cas. Souvent, trop souvent, celui-ci nous parle longuement de lui, qui il est, d'où il vient, où il va, ce qu'il fait, de sorte que nous finissons par le connaître intimement alors que les autres personnages demeurent à l'état de silhouettes plus ou moins marquantes. Le narrateur devient alors le véritable sujet de l'histoire qu'il raconte. Ce phénomène de vampirisation de l'oeuvre par un protagoniste est hélas très fréquent dans la production actuelle, y compris celle qui s'en tient à la bonne vieille troisième personne de l'indicatif.
 
Enfin, et pour en venir au titre rimbaldien de cet article, le "je" du narrateur est souvent celui de l'auteur, non pas seulement d'un point de vue biographique ou psychologique, mais stylistique. Quand bien même ils ne sont pas du métier et n'ont jamais écrit une ligne avant les évènements qui les ont poussés devant un clavier, les narrateurs de romans policiers font montre d'une adresse de vieux routier; ils savent planter un décor ou un personnage en quelques mots et mènent leur récit à un train d'enfer, ménageant le suspense et les coups de théâtre avec une rigueur mécanique du reste peu compatible avec une "histoire vécue". Bien des professionnels envieraient ces amateurs surdoués. Mais un phénomène encore plus étonnant se rencontre chez les auteurs spécialisés dans le standalone à la première personne, dont les protagonistes font preuve d'une continuité de style assez extraordinaire: Mike, 31 ans, informaticien à New York écrit ainsi de la même manière que Roger qui a deux bonnes décennies de plus et bosse entre deux cuites au Washington Post; la prose dudit Roger n'étant pas ressemblance avec celle de Sarah, 40 ans, ménagère à Dallas... Et ce, sans même se connaître. Chapeau!
 
Certes, dans de nombreux cas, les personnages sont tellement interchangeables qu'il n'y a rien d'étonnant à ce que leurs plumes le soient aussi. Mais on rencontre le même problème chez des auteurs plus ambitieux. Comme quoi le style, comme toutes les habitudes, est une seconde nature.

Retour aux affaires

Dix mois se sont écoulés depuis mon dernier article sur ce blog - un long silence, comme l'aurait dit feu Nicholas Freeling. Trop peu de temps pour blogguer, et les rares moments libres consacrés à mon blog en anglais, expliquent cette absence dont je m'excuse auprès de la poignée de lecteurs fidèles qui, un an durant, ont lu les mêmes quatre articles.
Je ne puis promettre que je serai plus prolifique à l'avenir, mais j'essaierai au moins de ne plus me taire aussi longtemps, tout en maintenant ma politique de ne l'ouvrir que lorsque j'ai vraiment quelque chose d'intéressant à dire. Pour l'heure en tout cas, je vous souhaite de nouveau la bienvenue à Mayhem Parva.